Mais que s'est-il donc passé dans cette calanque marseillaise il y a 2600 ans qui allait devenir in fine la clé de voûte de l'édifice France ? 

Une fille de roi s'y promène, son nom est Gyptis, il fait beau, petite brise, la princesse est belle, elle s'ennuie, ses aspirants poiluspoilus l'assomment, elle regarde l'horizon, attend un destin meilleur que celui de rester prisonnière du carcan tribal, quelque chose de grand, d'ample la soulève, son cœur palpite, son esprit s'échauffe, ses muscles se tendent déjà vers celui qui, elle en est sûre, lui est destiné, que par ses prières elle adjure de hâter son arrivée - Gyptis est à l'âge de se marier, son père, le roi Nann chef des Ségobriges établis sur les hauteurs autour du Vieux-Port, son père donc organise une fête au cours de laquelle la princesse doit choisir tel ou tel prétendant, voilà la situation côté celte à l'endroit où le Rhône se jette dans le Golfe du Lion
Protis - joli nom symbolique - est le prototype de l'homme aventureux épris d'ailleurs qui se sent à l'étroit dans sa Phocée natale, le monde est plus grand que ça, il veut découvrir ce qui se tient derrière l'horizon, échapper aux fourches caudines locales mesquines, pourquoi pas mais oui fonder une colonie sur des rivages inexplorés, il réunit du monde, présente son projet, recrute des amis, demande, avant de se lancer, pieusement l'avis de la déesse Artémis qui l'assure du succès de l'entreprise et qui même, selon le récit de Justin, décide de se joindre à l'équipage 
Au cours de leur navigation vers les colonnes d'Hercule où finit la terre les explorateurs visiteront Rome qui a alors deux cents ans - et en poursuivant leur navigation un jour découvrent une large anse abritée, idéale pour poser pied, le décor rappelle la Grèce, l'équipage et la déesse débarquent, Artémis pour disparaître, elle a guidé la barque saine et sauve de l'autre côté de la mer, Protis et ses compagnons pour inspecter plus en avant les alentours

Et voilà que la princesse passionnée promenant une fois de plus son spleen autour du Vieux-Port aperçoit la silhouette de Protis, bel homme rasé de près aux proportions viriles, les deux se rencontrent, c'est le début de l'été, un petit mistral ride les eaux cristallines de la calanque, ils ne parlent pas la même langue ...à moins de supposer que le Grec ait appris avant de quitter Phocée les rudiments de la langue celto-ligure ce qui serait beaucoup demander à notre héros - leurs yeux échangent des étincelles, c'est le coup de foudre, Cupidon a tiré sa flèche, soleil et lune échangent des clins-d'œils
Le chef de l'expédition décide de jeter définitivement l'ancre, d'où le nom Massilia : où il fait bon jeter l'ancre en grec ancien selon le Consul de Grèce au cours d'une conférence tenue à Marseille à laquelle j'ai assisté - et si l'origine du mot m'a surpris et ravi, je n'étais cependant pas vraiment étonné, après tout c'est ici que Rimbaud est mort et ressuscitera
La princesse de son côté supplie son auguste père d'inviter les étrangers à la fête, elle fait de son papinou ce qu'elle veut, le soir venu l'inconnu fascinant est bien là, beau comme un camion sans même le savoir, belle aisance, des yeux plein de sens, de curiosité, la princesse n'arrive pas à détacher ses yeux de ce miracle physique à quelques mètres devant elle, et, bien sûr, au lieu de donner sa coupe à un des braves moustachus de la tribu Gyptis la courageuse la folle s'élance vers le bel inconnu venu d'ailleurs et lui offre le Graal de son cœur et corps - geste inoui, spectaculaire, révolutionnaire 
C'est sur l'intervention décisive d'une fille de roi que la France doit son existence si on veut remonter le fleuve des siècles du delta rhodanien d'aujourd'hui jusqu'à la source initiale, au tout début du germe, tout comme fut décisive la divine Dame Artémis pour lancer Protis dans son expédition : c'est à la gente féminine que la France doit sa chance d'être
Le couple celto-grec fonde une nouveauté sur la mappemonde, finie l'étroitesse des pavés de Phocée, terminées les restrictions claniques ségobriges, le duo sera pionnier et construira son utopie massaliotte, verra leur enfant grandir en beauté, en justice, en humanité, exploiter ses talents naturels, connaître la prospérité bien partagée sous des lois sages louées sur tout le pourtour méditerranéen 
Manifestement Marseille est une cité voulue par les dieux

« Nann devait marier sa fille unique, la belle Gyptis, plus blanche que l’écume des vagues, Gyptis aux yeux rieurs, Gyptis sur le sein de laquelle l’empreinte d’une coupe sacrée avait été prise. »

Guillaume Apollinaire

 

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog